1er discours : Présentation par le Maire de Tulle, Monsieur Bernard Combes

Mesdames et Messieurs, chers amis, bonjour. Aujourd’hui nous allons inaugurer l’espace Gilbert Bugeac. Je tiens à remercier la municipalité de La Rochelle, en la présence de Madame la Maire adjointe en charge des affaires scolaires, la commune de Saint Pardoux la Croisille, la ville de Tulle et ses élus, les services de l’Etat, l’ANACR, le collège Jean Moulin et tous ses élèves qui ont eu la gentillesse de venir ce matin, les jeunes sapeurs-pompiers volontaires du SDIS, les portes drapeaux, enfin l’ensemble des personnes qui ont concouru à ce que cet espace, aujourd’hui, soit inauguré.

Je vais donner la parole aujourd’hui pour l’histoire, parce que c’est l’histoire qui va nous éclairer aujourd’hui, à Monsieur Bernard Delaunay qui va nous expliquer l’histoire de Gilbert Bugeac. Je vous remercie. J’espère que vous entendez assez. (Non !) Ben c’est dommage parce qu’on n’a pas de micro. Alors Monsieur Delaunay vous allez vous approcher là.

2ème discours : M. Bernard Delaunay, co-Président Départemental de l’ANACR

Alors merci Monsieur le Maire (bien fort) de me donner la parole. L’histoire évidemment c’est celle de Gilbert Bugeac. Je vais essayer de la résumer en quelques phrases.

Voilà, le contexte d’abord. Après l’appel du Général de Gaulle du 18 juin 1940, La France Libre a mis en place une organisation à Londres, à côté des Forces Françaises Libres (FFL) : le service secret du Bureau Central de Renseignements et d’Action (BCRA). Le BCRA, créé en 1942 pour la zone sud, crée le Service des Opérations Aériennes et Maritimes le SOAM qui deviendra successivement le Centre d’Opération Parachutage Atterrissage, le COPA, puis le service d’atterrissage parachutage, le SAP. C’est dans ce cadre que des responsables régionaux et locaux de la résistance intérieure sont chargés de mettre en place les liaisons radios avec Londres, de repérer des terrains utilisables pour ces opérations, puis de les organiser, en liaison avec les groupes de maquis de l’Armée Secrète (AS) et des Francs-Tireurs et Partisans français (FTP).

Le tulliste, Gilbert Bugeac, va donc devenir un élément essentiel de cette organisation, en Corrèze et dans la région de résistance R5. Il était né le 30 janvier 1901 à Tulle, il a fait ses études secondaires à Limoges. Au retour de son service militaire, en 1921, il conduit des chantiers de travaux publics pour l’entreprise Vedrenne de Tulle, tout en menant par correspondance des études d’ingénieur à l’école nationale des travaux publics. En 1932, il fonde à Tulle la coopérative ouvrière du bâtiment et des travaux publics qui construit deux des ponts de Tulle et travaille sur des chantiers dans toute la France.

Sous-officier de réserve, il est mobilisé au début de la seconde guerre mondiale en 1939, il est démobilisé le 21 juillet 1940 dans les Pyrénées Orientales.

Il a refusé l’armistice du 22 juin 1940 qui sanctionnait la défaite militaire française contre l’Allemagne Nazie et livrait notre pays à l’occupation et la dictature de Pétain. Dès son retour à Tulle, il réunit des amis proches pour élaborer des tracs invitant à la résistance et organiser leur distribution. Atterré de voir se réaliser les projets d’Hitler, qu’il avait pu lire avant-guerre dans Mein Kampf, il veut, de sa propre expression « arrêter ça, il faut arrêter ça ».

Très vite il adhère au mouvement Combat qu’organisent en 1941 Edmond Michelet et Pierre Fernand Roubinet. Il abandonne la direction de son entreprise pour se consacrer à la lutte clandestine. Il participe alors à la libération de prisonniers politiques dans des camps d’internement du régime de Vichy et à la formation des premiers maquis corréziens (en particulier à Lafage sur Sombre, où il organise l’intendance et le ravitaillement). Il devient membre des Forces Françaises Combattantes (FFC) comme chargé de mission de première classe à leur création par le Général De Gaulle en juillet 1942.

En octobre 1942, il organise le Centre d’Opération de Parachutage et d’Atterrissage (COPA) de la Corrèze et d’une partie de la région et son annexe du service radio. Il prend le risque de loger des opérateurs radio à son domicile, d’où il réalise des émissions. Sous son impulsion, le COPA devient un rouage essentiel de la résistance, il organise des stockages, la distribution des armes parachutées entre les différents groupes de résistants. Lors de la création de l’Armée Secrète (AS) des mouvements unis de résistance, en zone sud, il est l’adjoint du capitaine Martial Brigouleix, chef de l’armée secrète en Corrèze, et du comité de coordination des organisations clandestines de la Corrèze, présidé plus tard par Raoul Dévignes.

Après l’instauration du service du travail obligatoire en février 1943, il s’oppose au départ des jeunes vers l’Allemagne en organisant pour les réfractaires un réseau de fabrication de fausses cartes d’identité et d’alimentation, et les dirige vers les maquis où ils peuvent se cacher et éventuellement participer à des actions de résistance.

Il se cache lui-même dans les bois, selon sa propre expression, sous le premier pseudonyme de Sylvain. Et puis, il deviendra ensuite Maxime ou Blaise pour mener d’autres types d’actions, c’est ce qui est d’ailleurs inscrit sur la petite plaque ici.

Alors, autre type d’actions par exemple, une école de sabotage, des sabotages de lignes électriques et de voies ferrées, des coups de main contre la prison, le commissariat de Tulle, la police de sécurité euh pardon le dépôt de l’intendance militaire.

Et Gilbert Bugeac échappe plusieurs fois à la police de Vichy et à la police de sécurité allemande, la Gestapo. Par exemple, lors de l’arrestation de Martial Brigouleix, le 17 avril 1943, il est chez lui, il est chez Martial Brigouleix et celui-ci a juste le temps de lui crier « fous le camp », et il arrive à s’échapper. A son domicile un mois plus tard, domicile qu’il venait de quitter pour mettre à l’abri sa femme et sa fille, chez ses parents à Limoges, il échappe une nouvelle fois à la police. Ou encore à Caluire, près de Lyon le 21 juin 1943, où arrivé en avance à la seconde réunion prévue dans la maison du docteur Dugougeon, il peut observer l’agitation consécutive à l’arrestation de Jean Moulin et de ses camarades, ce jour-là. Ses visites du lundi, à sa famille, à Limoges, ont été dénoncées et un piège lui a été tendu par la Gestapo un lundi de début 44, mais Gilbert Bugeac était venu le vendredi précédent pour conduire son épouse et sa fille ici présente dans les bois corréziens, et malheureusement ses parents seront arrêtés en mai 1944.

Jusqu’à la libération de la Corrèze, le 22 août 1944, son activité clandestine ne s’est jamais relâchée sur le territoire même où il était recherché. Vice-président du comité départemental de libération (CDL), dès sa création aux côtés de Robert Caulet, il en devient président de janvier à juillet 1946, date à laquelle le CDL est transformé en association loi 1901 dont il reste le président jusqu’à sa dissolution après les élections de 1947.

Il est nommé compagnon de la libération par décret du 17 novembre 1945. Il est décédé à Limoges le 4 juin 1976 où il a été inhumé dans la plus stricte intimité selon sa volonté.

Alors aujourd’hui la ville de Tulle et l’ANACR Corrèze lui rendent l’hommage qui lui est dû. Son engagement patriotique et civique est un bel exemple pour les générations actuelles, dont le besoin de tels repères historiques est plus que jamais nécessaire pour leur permettre de s’approprier et défendre à leur tour les valeurs de notre république démocratique laïque et sociale telle que la définit notre constitution. Et sur ce point, je voudrais remercier tout particulièrement Monsieur le Principal, les enseignants et les élèves du Collège Jean Moulin qui viennent de mettre en pratique à travers leur projet Résistance, toutes ces valeurs de la République auxquelles nous tenons tant et dont ils ont besoin pour devenir des citoyens. Merci à vous.

BRAVO !

3ème discours : Geneviève Loupias, fille de Gilbert Bugeac

Je tiens à remercier toutes les autorités militaires et civiles qui sont présentes à cette réunion (plus fort), ainsi que la Ville de Tulle qui a permis que quelque part soit inscrit le nom de Papa.

Parce que Papa était quelqu’un de très modeste, il a dit en 40, après avoir réuni ses amis : « Je ferai mais je ne dirai rien » et il a bien tenu parole. Il a parfaitement réussi ce qu’il voulait, c’est-à-dire se faire oublier. J’avais respecté ça jusqu’à il n’y a pas longtemps, mais maintenant, quand même, je trouve que l’histoire s’écrit assez différemment quand il manque un rouage très important de cette histoire locale…

Alors, je dirai juste quelques mots, l’attachement de Papa à Tulle et à la Corrèze, parce que comme l’a dit Bernard Delaunay, que je remercie pour son discours tout à fait exact et qui a balayé l’histoire, Papa était né chez sa grand-mère maternelle, à Tulle, et il n’a jamais accepté d’aller à Limoges. Son père, dix ans avant, avait dû quitter Tulle, alors qu’il était un enfant de la Manu. Il était né à Seilhac, et fils ainé de veuve, il avait travaillé à dix ans. Je ne pense pas qu’il soit venu à dix ans à la Manu, il a dû y venir vers 12-13 ans. Il a été à l’école du soir de la Manu, est devenu ingénieur-projeteur, il a eu la médaille d’or de la Ville de Paris : c’était vraiment l’enfant de la Manu. En 1891, le directeur de la Manu a reçu un mot des Renseignements Généraux de l’époque, en disant que mon grand-père était un « révolutionnaire dangereux ». Le Directeur a déchiré le papier parce que révolutionnaire dangereux ça voulait dire syndicaliste… Donc, il a déchiré le papier, il lui a dit combien il l’estimait, mais, étant dans une manufacture d’armes, il ne pouvait pas le conserver. Il l’a donc recommandé à Limoges, et il a dit « le directeur de Limoges t’appréciera autant que moi, mais lui, étant Manufacture des Tabacs, il ne sera pas obligé de se séparer de toi ». C’est ce qui a été fait et mon grand-père s’est parfaitement intégré à Limoges où il a continué à faire du syndicalisme, et aussi à monter mutuelle et coopérative. Mais Papa ne l’a jamais accepté, je pense.

Et du coup, il revenait avec une joie extraordinaire chez sa grand-mère pour toutes les vacances scolaires. Enfin, il y a tout un tas d’anecdotes où il allait, en connivence avec le coiffeur, quand il avait 7-8 ans, se faire couper les cheveux très courts pour venir jouer avec les copains, ce qui évidemment ne rentrait pas dans les projets de ma grand’mère qui le faisait participer à des spectacles de fin d’année : alors la brosse, ça n’allait pas avec. Donc mon père était très très attaché à Tulle. Je vous passerai beaucoup de détails, mais c’est pour confirmer ce qu’a dit Bernard Delaunay, c’est-à-dire que dès que Papa est entré dans la vie professionnelle, il est revenu en Corrèze, il est revenu à Uzerche puis à Tulle. Et il était très idéaliste : il a refusé des associations à des têtes d’entreprises très connues de Tulle, pour monter une « Coopérative Ouvrière du Bâtiment et des Travaux Publics ». Cette coopérative a traversé toutes les crises économiques de façon extraordinaire. C’était apparemment des copains très unis, d’excellents professionnels qui ont eu des chantiers dans toute la France, mais ce qui a beaucoup servi ensuite, je pense, à la résistance, c’est que Papa a connu toutes les administrations de Tulle, de la Corrèze et du Limousin de façon générale. Il a construit donc deux ponts de Tulle, il avait l’entretien des bâtiments militaires, etc… Ce qui, ensuite, va lui permettre de faire beaucoup de choses par relation. Il faut dire que Papa était quelqu’un qui était plein d’humour, très souriant : il y a Séverin (Lucien Feyre) qui racontera ensuite à André Vialle qu’il a retrouvé « son ami chaleureux et même charmeur ». Je pense que Papa a dû user pas mal de son charme dans certaines circonstances.

Papa a commencé la résistance comme l’a dit Bernard, par une réunion dès juillet 1940, mais il n’a pas soulevé l’enthousiasme qu’il espérait quand il a proposé de « continuer le combat ». Donc c’est là qu’il a dit « je ferai, mais je ne dirai rien ». Effectivement, il a dit très peu de choses. Et alors là, il décrit la situation en disant que c’était une lutte âpre, acharnée (« Ce fut la lutte sourde, opiniâtre, la propagande orale de nos camarades pourchassés par la police vichyssoise, frappés, internés »), que certaines personnes de Tulle, j’en oublierais sûrement si je fais une liste, distribuaient des tracts au risque de se faire arrêter par la police, bien sûr. Papa a échappé à la police en janvier 1941, grâce à Guy Faucher qui, avec son « innocence enfantine », l’a prévenu à temps.

Par contre l’ébéniste Longys n’a pas eu cette chance, il a donc été incarcéré au camp de Nexon, d’où Papa l’a fait libérer (ainsi que bien d’autres prisonniers avant). Et c’est là que ses relations ont dû servir, parce que sur la fiche de Longys, il met « libéré par relations ». Je pense donc que pendant, très longtemps, le fait que Papa soit estimé de toutes les instances, départementales, militaires, du bâtiment, des travaux publics, de la direction générale a beaucoup servi.

Papa a certainement participé au premier parachutage qui a eu lieu en zone sud, en juin 1941, dans le parc du Château de Gay Lussac à coté de Limoges ; et ils étaient cinq, d’après la description de Monsieur de Vomécourt qui l’organisait. C’était un parachutage de SOE, Special Operator Executive. Et, je ne sais pas si Papa a fait partie du SOE : le SOE c’était les services secrets britanniques qu’avait créés Churchill, et justement, pour la section française, à la demande des trois frères de Vomécourt. À partir de cette date-là, Papa est considéré comme « français libre » par Londres, alors qu’il n’est jamais allé ni en Angleterre, ni dans un territoire non occupé (de l’empire français).

Il y a eu plusieurs petits groupuscules qui se sont formés à ce moment-là (fin 40 et début 41) et Papa dit qu’il a pris un engagement dans un réseau qui existait en juillet 1941, mais il ne dit pas lequel. En fait, le groupuscule dont il faisait partie a participé à la création de « Combat », dont il a été responsable départemental, alors que Michelet, était responsable régional. Et avec évidemment Roubinet qui distribuait beaucoup de tracts… Alors, je peux vous raconter une anecdote. Au retour de camp de Roubinet, donc j’avais cinq ans, on est allé le voir avec Papa. Papa lui a dit « comme je suis heureux que tu aies survécu », et Roubinet lui a dit, « tu sais, tu en es une des raisons, parce que pendant toute mon incarcération, je me suis dit pourquoi ce salaud de Bugeac m’a dit de faire attention et m’en n’a pas donné la raison ». Alors Papa l’a regardé sidéré et il lui a dit «  je n’avais pas d’information, mais tu étais tellement imprudent ! ».

En juin 1942, il y a eu 3 personnes parachutées de Londres pour créer le SOAM qui est devenu COPA, que j’appelle, par simplification, le COPA (Centre d’Opérations de Parachutages et d’Atterrissages) parce que ça a été le nom utilisé le plus longtemps. Trois personnes ont donc été parachutées : une pour « Combat », une pour « Libération » et une pour « Francs-Tireurs ». Mon père a été naturellement touché par celui qui venait de « Combat », tout de suite, dès juin 42, qui était Fassin à Lyon. Donc Papa a créé, dit-il, dans un CV et comme il n’avait pas l’habitude de se vanter, je pense que c’est vrai, il a donc créé la structure de SOAM (Service des Opérations Aériennes et Maritimes) pour la Région R5. La Région R5 comprenait des morceaux de 5 départements parce qu’il y avait des départements à la bordure de la zone occupée comme l’Indre par exemple et les parties non occupées de ces départements-là faisaient partie de R5. Le SOAM de la Région R5 a été créé en liaison avec celui de la région R3 qui est celle de Montpellier. Alors bon, je ne sais pas quelle est l’évidence, mais après, il y a eu effectivement des échanges entre R3 et R5 quand les gens étaient trop « mouillés » à un endroit, etc…

Papa a pris la responsabilité du département de la Corrèze, où il dit plus tard que c’est là qu’il y avait les meilleurs agents… Cela a été effectivement une organisation extraordinaire et je suis contente qu’il y ait aujourd’hui Georges Cueille et Gérard Condamine (fils de Joseph), par exemple, qui sur les sites des parachutages autour de St Privat, St Julien au Bois etc… ont souvent, quand c’était de petits parachutages, quasiment avec leurs seules deux familles, assuré complètement le parachutage puisque que Joseph Condamine était transporteur et le Papa de Georges Cueille que mon Père a toujours appelé « le père Cueille », alors je ne sais pas son prénom, avait une scierie et avait fait une espèce de casemate en béton, enfin en ciment, sous la sciure parce que évidemment, a priori, on ne va pas chercher les armes dans la sciure, c’est quand même un peu incompatible. Donc il y a eu vraiment un maillage du département où Albert Eyrolles était responsable de Chamboulive, François Louis Vinatier était responsable dans les Monédières, et évidemment Antoine Vinatier était responsable d’un groupe COPA au nord du département, autour d’Eyrein et d’Égletons, et faisait aussi des transports. Donc il y a eu un maillage extraordinaire du département d’une efficacité extraordinaire et je pense qu’on peut en trouver deux preuves :

La première c’est que Papa écrit que « Jean Moulin, en tant que Président du CNR, est venu en Corrèze ». Il est probablement venu sur le plateau des étangs parce qu’il est venu en Corrèze comme Président du CNR, ça veut dire fin mai ou début juin 1943, avant son arrestation, et Papa avait, lui, quitté Tulle depuis longtemps et nous avait fait quitter Tulle (Maman et moi). Les réunions de COPA avaient eu lieu, au départ, chez Mme Parel à Clergoux et aussi dans l’arrière-boutique de Raymond Verdier, le pâtissier en face de la Cathédrale. Cette arrière-boutique était complètement obscure, elle avait des issues devant, derrière, sur la rue de la Barrière, enfin bref. Donc voilà, je pense que si Jean Moulin était venu, alors qu’il était à ce moment-là à Paris, qu’il a fait l’imprudence d’aller à Calluire, c’est qu’il voulait vraiment reconnaitre les Maquis Corréziens, ça c’est le premier point.

Et le deuxième point, c’est que, dans les relations des délégués militaires régionaux, tous y compris le dernier, qui s’appelait Déchelette, (alias Ellipse ou Chasseigne), il est dit que les parachutages en Corrèze ont été menés de façon remarquable, qu’il n’y a pas eu de perte de matériel, qu’il y a eu très peu de perte de personnes : malheureusement il y a quand même eu des gens dénoncés et fusillés. Et je pense qu’un signe de ça, c’est que le parachutage de l’opération « Cadillac », « bleu, blanc, rouge », du 14 juillet (1944), a été très important à Saint Privat, ça a été de loin le plus important. Alors maintenant les historiens disent « ah ça n’aurait pas dû être ou ça aurait dû être comme à Pleaux (Cantal), mais il y a eu une erreur de calcul». Je ne crois pas qu’il y a eu d’erreur de calcul, je crois que Londres était tout à fait conscient du fait que quand on parachutait quelque chose en Corrèze, c’était bien utilisé.

Pour revenir un petit peu à l’organigramme, Papa était donc responsable départemental de « Combat » comme Brigouleix était responsable départemental de « Libération ». Donc quand ils ont cofondé l’Armée Secrète (AS), c’est-à-dire la branche armée des Mouvements Unis de Résistance, Brigouleix est devenu chef de l’AS et mon père est devenu son adjoint. En fait, assez rapidement, le responsable national de COPA (Bruno Larat alias Xavier), qui a été arrêté en même temps que Jean Moulin à Caluire, avait demandé à Papa de sortir de tout réseau de résistance pour avoir les mains complètement libres pour distribuer les armes, pour installer les ateliers de sabotages, pour les renseignements, etc… Alors la meilleure preuve est que Papa l’avait déjà fait, si on regarde les adjoints de mon père dès 1942. Papa a commencé à organiser COPA en juin 1942, mais c’était opérationnel en novembre 1942 et si on regarde ses adjoints, alors il y avait, je vais sortir mon papier pour ne pas oublier quelqu’un, des représentants de tous les mouvements : il y avait Geoffroy-Dechaume de « Libération » qui avait été lui, touché par le parachuté de « Libération » (Paul Schmidt, alias KIM) qui était vers chez Joseph Condamine qui a réceptionné les premiers parachutages, il y avait André Vialle qui était FTP, il y avait Raoul Dévignes qui, comme chacun sait, sera le responsable de l’AS après l’arrestation de Martial Brigouleix (L’ensemble des portes drapeaux, repos, rires), il y avait Albert Faucher dont l’atelier était juste à côté et où a été la première école de sabotage de Tulle. A cette époque-là, Papa disait qu’il y avait trois émetteurs dans Tulle, il y en avait un chez Albert Faucher, un chez Raymond Verdier, et le troisième je sais pas… le délégué militaire dit qu’il était chez nous, enfin au siège de l’entreprise, il y avait eu la Cathédrale avant, mais ça s’était déplacé à ce moment-là, et puis il y avait Caulet, Papa dit « notre Laurent » qui dessinait et sculptait les tampons nécessaires aux faux-papiers, donc Robert Caulet était au Front National de l’époque (un mouvement proche du parti communiste qui a existé jusqu’à la libération). Donc si on regarde les adjoints de mon père, il y avait des spécialités, il y avait des régions mais il y avait toutes les forces de la résistance qui étaient représentées à ce moment-là dans COPA : quand on demande à Papa de sortir d’un mouvement particulier, en fait c’était déjà fait.

Ces travaux ont été faits en étroite collaboration avec les Délégués Militaires Régionaux (DMR), évidemment. Et notamment, Jacques Martinie est sûrement-là qui pourrait mieux nous confirmer la date, mais je crois que c’est en février 1944, qu’il (le DMR, Déchelette) a assisté, avec Papa, à une réunion interne à la Manufacture, qui a décidé le « nième » sabotage (interne), mais un sabotage « sérieux » de la Manufacture : information retransmise par le DMR à Londres qui a évité à Tulle d’être bombardée, le bombardement étant déjà prévu. Évidemment, entre les bombardements sur Lamarque et sur la Manufacture, Tulle aurait probablement été complètement rasée.

Papa avait une confiance, j’en ai été témoin, absolue dans les gens du COPA… Combien de fois, ai-je entendu parler, après-guerre, de parachutages perdus et récupérés par on ne savait qui, des millions parachutés, etc… Papa disait, « non, tout est clair, je sais tout ».  Et au vingtième anniversaire du débarquement en Provence, Papa était invité ainsi que le dernier responsable national de COPA (François Paul Rivière), qui est arrivé avec ses grands livres de compte, avec la date, le numéro de l’avion, les marchandises parachutées, etc… Et donc, François Paul Rivière dit à Papa « vous voulez sûrement vérifier des choses », Papa dit « non, je n’ai rien à vérifier, je sais tout » puis Papa dit «euh, oui si, il y a un avion que l’on n’a jamais vu arriver, je voudrais bien savoir pourquoi il n’est pas arrivé». Alors Rivière prend sa grande règle et lit : « retour en Angleterre pour cause de mauvais temps ». Il y avait une confiance mutuelle extraordinaire et la Corrèze a été un exemple tout-à-fait particulier.

Ce que je veux aussi souligner, c’est aussi une caractéristique du caractère de Papa : il était extrêmement économe de la vie d’autrui, aussi préparait-il avec grand soin les sabotages et les coups de mains, pour éviter, évidemment, les effusions de sang. Alors, il a joué sur plein de cordes. Avait été hébergé, chez Raymond Verdier, l’Intendant Militaire de Tulle (Bardet). Alors Papa était scandalisé ! Je ne sais pas si certains d’entre vous ont connu Raymond Verdier, mais c’était un monsieur marrant : « Mais de quoi tu te plains, c’est la meilleure couverture que l’on puisse avoir ! Qui pensera qu’il y a des réunions de réseaux de résistance dans une maison où vit l’Intendant Militaire ? ». Il s’est avéré que cet Intendant Militaire a collaboré avec la résistance et qu’il oubliait, régulièrement, de surveiller les dépôts d’essence, de chaussures, etc ! Il y a eu aussi l’épisode « Lecornu », Préfet de la Corrèze, auprès duquel Papa avait mis Jacques Miginiac, un de la bande à « Antoine Vinatier », dirait Jeantou (Jean Maison), d’Eyrein. Et Jacques Miginiac avait en charge de décoder les messages de la Milice : alors évidemment - il n’y avait rien d’écrit - le soir, il allait rencontrer, dans des ruelles, Albert Faucher, Papa, Raymond Verdier, et il appréciait beaucoup les choux à la crème de Raymond Verdier.

Mais si vous voulez quand on dit COPA, on dit « Centre d’Opérations de Parachutages ET d’Atterrissages ». Parmi les gens qui atterrissaient, il y avait des gens qui étaient formés au sabotage, aux écoles radio, etc... Et c’est de là que sont nées toutes les écoles de sabotage, toutes ces installations radio y compris au château du Theil, n’est-ce pas, où nous serons ce soir, dans des endroits bien placés un peu en hauteur et loin de tout. Alors, il y avait aussi le renseignement et là, l’épisode « Lecornu » a été absolument extraordinaire parce qu’ils avaient prise directe sur les renseignements que recevait la Préfecture. D’ailleurs Lecornu a été destitué et incarcéré par Vichy, heureusement parce que sinon il aurait été exécuté par la Gestapo. Ce qui l’a protégé c’est que Vichy lui ait demandé de protéger le philosophe Emmanuel Berl qui était en Corrèze ; donc du coup cela lui a permis de jouer double jeu un certain temps, sans être trop inquiété.

Je finirai en citant un discours de Papa, écrit, je ne sais pas en quelle circonstance, qui rapporte, tout d’abord, les mots du président du Comité Régional de Libération : « Ils étaient ensemble, dans le hardi et périlleux combat clandestin et puis plus tard dans la bataille ouverte, tous ceux dont nous pouvons nous réclamer avec une fierté bouleversée ! Ils étaient ensemble le socialiste et le religieux, le communiste et le chrétien, celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ». Papa ajoute : « Qu’avons-nous fait, qu’allons-nous faire d’un pareil héritage moral ? C’est cette union indissoluble qui nous permettra de mener à bien, dans le court délai qui s’impose, l’épuration, la révision de nos méthodes, de sortir le char des vieilles ornières où toujours il retombe, de refaire une France neuve et forte ! » En fait, Papa a fait partie des douze liquidateurs nationaux des réseaux de de Gaulle, il était liquidateur pour la région R5. Et donc à ces occasions, de Gaulle lui avait demandé ce qu’il pensait des élections. Et Papa lui avait répondu « Personne ne les demande, attendez donc  qu’on ait le temps de reconstruire la France ». Malheureusement, il n’a pas été écouté, et il n’a donc pas pu aller aussi loin que bien des résistants l’auraient voulu aussi, dans l’accomplissement du programme « des jours heureux » du CNR.

Après, il a repris sa vie de bâtisseur, il a été appelé par Raymond Aubrac au Ministère de la reconstruction à Boulogne sur Mer et a fait ensuite des Travaux Publics en Afrique. (De retour à Limoges en 1956, il a contrôlé la conformité des constructions H.L.M).

Il avait demandé à être oublié, il y était presque arrivé, mais voilà, grâce à un certain nombre de gens, comme Jean Maison et la Ville de Tulle, il n’a pas complètement réussi…

BRAVO !

4ème discours : Présentation de Monsieur Yves Juin, adjoint au maire de Tulle :

Eh bien écoutez, on va vous demander encore un moment d’attention, parce que les élèves vont nous chanter le chant des partisans, on fera une minute de silence et derrière nous enchainerons en chantant la Marseillaise. Voilà, je vous demande d’être attentif, car le chant des partisans, je vous préviens qu’ils vont le chanter en entier.

Chant des partisans

(Ensemble des portes drapeaux : Minute de silence)

(Portes drapeaux premiers : Envoyer la minute de silence)

Minute de silence

Marseillaise

(Portes drapeaux : Repos)

Alors, on ne va pas dévoiler la plaque, elle est déjà dévoilée. Il y avait eu un voile, mais je crois qu’il est parti cette nuit. Donc vous avez eu le temps de la lire. Voilà l’espace consacré Gilbert Bugeac, je crois qu’il a été choisi parce que dans ce lieu beaucoup d’élèves passent parce qu’il y a la gare routière ici et donc il y aura toujours des jeunes qui passeront là, qui certainement s’arrêteront pour lire cette plaque, c’était le but. En même temps, il est juste à côté d’un compagnon aussi, en fait Martial Brigouleix. Voilà, mais dans ce quartier et dans toute cette ville d’ailleurs, il y a beaucoup de noms ou d’espaces, de rues qui sont dédiés à des gens qui ont beaucoup résisté et qui se sont battus en des temps difficiles. Voilà. Merci. Pour poursuivre cette cérémonie (au Theil), je crois qu’il faut conclure ici. Merci à tous ceux qui y ont contribué et notamment à ces élèves qui se sont déplacés ce samedi matin.

BRAVO !





Cette version de l’inauguration est retranscrite de vidéos. Quelques coquilles orales ont été rectifiées et quelques précisions apportées entre parenthèses.


Liste des sigles :

  • ANACR : Association Nationale des Anciens Combattants et amis de la Résistance
  • BCRA : Bureau Central de Renseignements et d’Action
  • CDL : Comité De Libération
  • CNR : Conseil National de la Résistance
  • COPA : Centre d’Opérations de Parachutage et d’Atterrissage
  • DMR : Délégué Militaire Régional
  • FTP : Francs-Tireurs et Partisans
  • SAP : Service d’Atterrissage Parachutage
  • SOAM : Service des Opérations Aériennes et Maritimes
  • SOE : Special Operation Executive